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Inviter les candidats à un cocktail de recrutement? C’est l’une des méthodes insolites employées par des entreprises pour mieux se faire connaître et attirer du personnel.
Quand le recrutement la joue «cool»
06.04.2023 | 08:30
Face à la pénurie de main-d’œuvre, des entreprises essaient d’attirer les candidats en utilisant des méthodes originales, mais qui peuvent interroger.
GETTY IMAGES
Comment mieux toucher et mieux séduire les candidats pour compléter ses équipes de travail, tant le manque de personnel qualifié fait défaut? À cette question, certaines entreprises ou institutions publiques osent des méthodes originales, voire disruptives (pour employer un terme à la mode) par rapport à celles du recrutement classique.

Vidéoclip sur TikTok
Ainsi, l’hôtel de luxe Intercontinental à Genève a diffusé sur le réseau social TikTok une vidéo dans laquelle sa direction des ressources humaines fait danser plusieurs des employés du prestigieux établissement, rapporte la RTS. Nos confrères ajoutent que d’autres grandes entreprises de notre pays ont décidé d’en faire de même. Parmi elles, les constructeurs Orlatti et Implenia, l’énergéticien Romande Energie ou encore les opérateurs de télécommunications Swisscom et Mobilezone. Même une boucherie lausannoise s’y est mise.

Une rue au nom du candidat sélectionné
Le phénomène n’est pas propre à la Suisse. À l’étranger aussi, certains essaient de casser les codes dans ce domaine pour attirer l’attention des candidats et éveiller leur intérêt. C’est notamment le cas juste à côté de chez nous, en France. Parmi les exemples plus ou moins récents, l’équipe de gériatrie de l’hôpital de Rouen, en Normandie, a réalisé un clip de karaoké, relate le site internet de France 3 Régions. Le même média raconte que la maternité de Sedan, dans les Ardennes, a promis aux candidats sélectionnés de donner leurs noms à des rues de la ville. Jouant sur le registre de la convivialité (presque plus basique en comparaison des exemples précédents),la caisse régionale de Normandie de la banque française Caisse d’Épargne, elle, a invité les candidats à un cocktail de recrutement au Havre, indique Actu.fr.

Les réserves d’un expert des ressources humaines
Toutes ces audaces font sourire. En même temps, elles interrogent sur leur intérêt et leur efficacité en termes de recrutement pur, mais aussi par rapport à l’image qu’elles renvoient des entreprises et des institutions qui en usent. Qu’en pensent justement les professionnels du recrutement? Nous avons demandé son avis à Stéphane Haefliger. Ce chroniqueur bien connu des lecteurs de notre supplément «Emploi» est membre de la direction du cabinet de recrutement Vicario Consulting (implanté notamment à Genève et à Lausanne), enseignant en ressources humaines et psychosociologue. Interview.

Vidéoclips, karaoké, cocktail, que pensez-vous de ces méthodes de recrutement?
Dans un marché où les candidats se font rares, toutes les initiatives intelligentes pour rapprocher l’entreprise de collaborateurs potentiels sont à valoriser.

Comment les analysez-vous?
Ne serait-ce pas davantage de la «com» que du recrutement véritablement?
Il est très clair que ces pratiques sont davantage des stratégies de communication destinées à fabriquer de la visibilité afin de susciter un intérêt. Cela pose la question de la marque employeur. Comment se fait-il aujourd’hui que les recruteurs doivent danser sur TikTok pour attirer des talents? Probablement que ces institutions essaient, parfois de façon pathétique et faussement moderne, de rattraper leur déficit d’images, de s’humaniser davantage et de se rendre sympathique. Toutefois, elles n’échapperont pas à évaluer les candidatures avec des méthodes traditionnelles, notamment par des entretiens ciblés et des prises de références robustes.

Comment évaluez-vous l’efficacité réelle de ces méthodes?
Ces démarches sont probablement efficaces pour créer une forme de «buzz» numérique, stimuler l’intérêt des candidats potentiels et rajeunir l’image de l’employeur. Mais ce sont davantage des béquilles qu’une réelle stratégie. Je suis convaincu qu’une entreprise qui se rapproche des écoles, qui communique régulièrement sur ses réalisations, qui propose des conditions-cadres respectueuses (notamment en termes de formation et de rémunération) et qui donne de vraies perspectives à ses collaborateurs sera à terme gagnante.

Ces coups médiatiques insolites peuvent-ils être dupliqués dans tous les secteurs d’activité, dans toutes les entreprises et pour tous les emplois?
Évidemment, il faut qu’il y ait une certaine cohérence entre la culture organisationnelle et les médias utilisés. Je vois mal une entreprise active dans le funéraire ou une banque privée traditionnelle danser joyeusement la lambada pour attirer des candidats. Une chose est sûre, chaque secteur d’activité doit aujourd’hui repenser totalement son processus de recrutement. Non seulement c’est l’un des processus les plus importants d’une organisation, mais c’est probablement celui qui est dans un état de déliquescence le plus avancé. On recrute en 2023 comme en 1950, en publiant une annonce dans le journal local et en s’étonnant que plus personne n’y réponde. Les DRH devraient devenir des community managers (ndlr: gestionnaires des réseaux sociaux) et animer des réseaux internes et externes pour renforcer les liens entre l’entreprise et les bassins des candidats. Parallèlement, il faut professionnaliser les entretiens de recrutement, l’intégration dans les équipes, les évaluations. Bref, tout ce qui fait le sel des organisations et qui apparaît peu dans les vidéoclips ou dans les cocktails.
Fabrice Breithaupt