Où les fonctionnaires cantonaux peuvent-ils habiter?
26.01.2023 | 15:15
La Constitution fédérale leur garantit la liberté de domiciliation. Mais les États peuvent exiger de leurs employés qu’ils logent dans le canton.
L’affaire a fait rire jaune dans le canton de Genève. À la fin de décembre dernier, la RTS révélait que la directrice des quatre écoles primaires de la commune de Chêne-Bourg résidait en partie à Colmar, en Alsace (France), d’où elle télétravaillerait plusieurs jours par semaine, sans résider dans le canton du bout du lac Léman. Quelques jours plus tard, dans la «Tribune de Genève», la principale intéressée et le Département cantonal de l’Instruction publique (DIP) ont démenti cette version des faits. Le cas a suscité les critiques de certains élus de la droite parlementaire et de responsables de syndicats d’enseignants locaux. Cette polémique pose la question du lieu de résidence des employés de la fonction publique cantonale. Autrement dit, où ont-ils l’obligation ou le droit d’habiter? Liberté pas absolue Cette question, nous l’avons posée aux services compétents des Cantons de Genève et de Vaud, respectivement l’Office du personnel de l’État de Genève (OPE), dépendant du Département cantonal genevois des finances et des ressources humaines (DF), et le Département cantonal vaudois de la culture, des infrastructures et des ressources humaines (DCIRH). Voici leurs réponses. Tout d’abord, les deux Cantons lémaniques rappellent que la Constitution fédérale garantit la liberté de domiciliation. «La liberté d’établissement est protégée par la Constitution suisse. Les membres du personnel de l’État peuvent se prévaloir de ce droit fondamental», explique l’OPE. L’office indique qu’à Genève, «l’obligation de domicile sur le canton a été supprimée suite à l’adoption, en 2006 par le Grand Conseil, de la loi modifiant la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux». Dans le canton de Vaud, les employés de l’État bénéficient, eux aussi, de cette liberté de domiciliation. L’intérêt public avant tout Cela étant dit, le DCIRH vaudois nuance: «Comme toute liberté, la liberté d’établissement n’est pas absolue. Elle peut être restreinte si elle repose sur une base légale suffisante, si elle est justifiée par un intérêt public et si elle est proportionnée au but visé.» Dès lors, le lieu de domicile peut être imposé au collaborateur «soit par l’autorité d’engagement si les nécessités de l’accomplissement de l’activité professionnelle l’exigent, soit si une loi spéciale le prévoit». L’OPE genevois confirme que le régime actuellement en vigueur permet «d’exiger des membres du personnel qu’ils résident dans le canton de Genève si l’intérêt public le commande, notamment si l’éloignement de leur domicile porte préjudice à l’accomplissement de leurs devoirs de service». Fonctions particulières Ainsi, dans le canton de Vaud, c’est le cas, par exemple, pour les fonctionnaires de police qui sont contraints d’être domiciliés «dans un périmètre compatible avec l’accomplissement de leurs tâches». Les employés d’entretien des routes ont aussi l’obligation d’habiter «dans un périmètre défini autour du centre ou du dépôt auquel ils sont rattachés, pour des raisons de piquet», ajoute le DCIRH. Dans ces cas, la restriction de domicile est mentionnée dans le cahier des charges et figure dans le contrat de travail, indique le Département. Le procureur général et les procureurs généraux adjoints, ainsi que les autres magistrats du Ministère public doivent également être domiciliés dans le canton de Vaud, complète le DCIRH, qui précise que ces cas sont réglés par une loi spéciale. Dans le canton de Genève, l’OPE indique ne pas avoir d’exemples précis à fournir de fonctions dont l’accomplissement justifierait l’obligation de résider dans le canton. Et pour cause: «Il n’existe pas de listes définies des fonctions exigeant une domiciliation dans le canton de Genève. Le Conseil d’État a délégué cette compétence aux départements, gardant à l’esprit que, lorsque le domicile est sensiblement éloigné, des mesures organisationnelles sont prises avec la personne concernée, comme une présence obligatoire durant la semaine dans le canton de Genève, afin de garantir l’accomplissement des devoirs de service», explique-t-il. Néanmoins, à Genève, dans les faits, les fonctions, par exemple, de chef de la police cantonale, de chef de l’Office cantonal de la protection de la population et des affaires militaires, ou encore de directeur général de l’administration fiscale cantonale sont actuellement occupées par des personnes domiciliées dans le canton, nous fait-on remarquer. L’OPE genevois et le DCIRH vaudois assurent que les collaborateurs de l’État peuvent résider dans d’autres cantons que celui qui les emploie. «Sous réserve d’une restriction particulière telle que mentionnée» plus haut, précise le DCIRH. Jusqu’à 25% des employés d’État hors de leur canton Résider à l’étranger, en l’occurrence en France voisine, région frontalière aux cantons de Genève et de Vaud, est-il aussi possible? «Oui», répondent les deux autorités cantonales. «L’élection d’un domicile à l’étranger nécessite l’autorisation préalable de l’autorité d’engagement, laquelle peut refuser cette autorisation», précise à nouveau le DCIRH. Ainsi, sur les près de 19’000personnes que l’État de Genève emploie (chiffres à la fin de novembre 2022),1220résidentdans le canton de Vaud, 305 ailleurs en Suisse et 3118 en France voisine. Au total, ce sont donc 25%des employés d’État (des personnes pour l’essentiel de nationalité suisse) qui ne résident pas dans le canton qui les salarie. Dans le canton de Vaud, sur les 24’403 employés d’État (chiffres de janvier 2023), 2792 résident dans un autre canton et 502 habitent en France voisine. Au cumul, ce sont donc 13,5% des collaborateurs du Canton qui logent au-delà de ses limites et frontières. Enfin, quels sont les départements cantonaux où la proportion de ces employés résidant hors les murs est la plus forte, ou la plus faible? Et pour quelles raisons? «Il n’y a pas de département qui se démarque particulièrement des autres», répond le DCIRH vaudois. L’OPE genevois ne peut pas répondre, expliquant que «chaque département est compétent en matière d’engagement de personnel pour mener à bien ses politiques publiques».