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en Suisse romande
Le 30 juin, les accords amiables entre la Suisse et la France sur l’assujettissement à la sécurité sociale et à la fiscalité des frontaliers en télétravail arriveront à échéance, sauf s’ils sont à nouveau reconduits ou si un accord pérenne est conclu.
Les entreprises romandes vont-elles perdre en attractivité?
19.05.2022 | 08:44
Le risque existe que des travailleurs frontaliers européens, très attachés aux avantages du «home office», se détournent des marchés du travail genevois et vaudois, accentuant la pénurie de main-d’œuvre.

Stop ou encore? Sera-t-il possible ou non de faire du télétravail au-delà de ce printemps? C’est la question qui taraude depuis de nombreux mois plusieurs milliers de travailleurs frontaliers européens employés en Suisse et domiciliés en France voisine. C’est en effet le 30juin2022que les accords amiables entre la Suisse et la France sur l’assujettissement à la sécurité sociale et à la fiscalité des frontaliers en télétravail arriveront à échéance. Il s’agit d’un régime d’exception conclu entre Berne et Paris dans le contexte particulier de lapandémiedeCovid-19. Il est destiné à autoriser les travailleurs frontaliers en Suisse d’exercer depuis leur domicile en France voisine (du moins ceux dont l’emploi le permet techniquement), tout en leur permettant de demeurer assujettis à la sécurité sociale helvétique et au régime fiscal comme s’ils avaient continué de travailler en totalité en Suisse.

 

Des frontaliers inquiets

Cette éventualité inquiète les travailleurs frontaliers. Et pour cause: nombre d’entre eux, comme beaucoup de leurs collègues domiciliés en Suisse, ont goûté, à l’occasion de la pandémie de Sars-CoV-2, aux avantages offerts par le télétravail; moins de temps perdu dans les transports, moins de stress et de fatigue, mais aussi plus d’autonomie et de flexibilité dans leur travail, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, notamment. Ces avantages, certains frontaliers n’ont pas l’intention de les perdre. D’autant moins que la crise sanitaire a été l’occasion pour un grand nombre d’employés, suisses ou français, de reconsidérer la place de leur travail dans leur vie.

 

Aggravation de la guerre des talents?

Dès lors, le risque existe-t-il que certains frontaliers exerçant déjà en Suisse romande démissionnent pour retourner travailler en France, et que ceux qui projettent de candidater dans une entreprise de notre région se détournent de notre marché du travail, ceux-ci privilégiant leur vie privée? Et que, en conséquence, certaines entreprises genevoises et vaudoises ne perdent en attractivité, ce qui accentuerait la pénurie de main-d’œuvre? Secrétaire général de la Fédération des entreprises romandes (FER) et directeur général de la section genevoise de cette organisation, Blaise Matthey n’y croit guère. «Le problème du télétravail des frontaliers se pose de manière différente selon les régions. D’un point de vue économique, il varie en fonction du poids que représente cette main-d’œuvre dans les secteurs d’activité et les entreprises. Au niveau réglementaire, il n’est pas le même sous l’angle des assurances sociales ou sous l’angle de la fiscalité. Sous ce dernier angle, la situation est traitée différemment selon qu’on travaille dans les cantons de Genève ou de Fribourg, où l’impôt est prélevé à la source, que dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel, du Jura ou du Valais où les frontaliers paient leurs impôts dans leur pays de résidence, en l’occurrence en France.» Pour le responsable, le télétravail n’est pas l’intérêt principal qui pousse les frontaliers à venir travailler chez nous. «On vient travailler en Suisse pour le niveau du salaire, mais aussi pour l’intérêt du poste proposé, les conditions de travail offertes, la qualité de l’ambiance de travail et les opportunités d’évolution professionnelle. Du reste, le télétravail n’est possible techniquement que dans certains métiers. Même en France, il n’est pas proposé systématiquement dans toutes les entreprises et, dans ce pays aussi, il faut parfois couvrir des distances importantes pour rejoindre son lieu de travail.»

 

L’importance du sens du travail

Membre de la direction du cabinet suisse de recrutement Vicario Consulting SA (implanté entre autres à Genève et à Lausanne), Stéphane Haefliger abonde: «La place économique suisse offre toujours de réelles opportunités professionnelles avec des conditions-cadres exceptionnelles. Dans ce sens, elle reste très attractive et continue à attirer de nombreux talents, notamment par les possibilités d’évolution qu’elle offre.» La différence de salaire entre la Suisse et la France est-elle un argument massue en faveur des entreprises romandes? «L’argent est rarement un facteur de motivation suffisant», assure-t-il. Pour le spécialiste des ressources humaines, le projet de vie du travailleur frontalier et le sens qu’il trouve à son travail comptent davantage: «Pour ceux qui considèrent leur emploi en Suisse comme une planche de salut et un projet d’émancipation, il me semble évident qu’ils reviendront œuvrer en présentiel avec une motivation renforcée. A contrario, pour ceux qui trouvent moins de sens dans les efforts qu’ils consentent, alors il se peut qu’ils choisissent de revisiter leur choix. Et du coup de renoncer.» Stéphane Haefliger ajoute: «Le Covid-19 a permis aux uns et aux autres de reconsidérer leurs choix professionnels. D’autant plus que la nouvelle génération est davantage sensible à la qualité du management, à la place du travail dans son existence, mais aussi aux trajets longs et polluants. À partir de ce constat, ceux qui occupent des bullshit jobs (ndlr: littéralement «jobs de merde» en anglais; emplois dénués de sens) strictement alimentaires risquent de déserter. Ce sera aux entreprises de les convaincre de se réengager. À elles aussi de réinsuffler du sens, notamment en enrichissant les tâches et en offrant des perspectives d’évolution, par exemple en termes de formation.»

Fabrice Breithaupt