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La discrimination envers les femmes existe à tous les niveaux de responsabilité.
Les chercheuses sont sous-représentées dans les publications scientifiques
30.06.2022 | 09:05
Une étude menée auprès d’universités aux États-Unis montre l’ampleur du phénomène, dans toutes les disciplines.

À travail égal, les femmes ont significativement beaucoup moins de chances que les hommes de se voir reconnaître comme auteure d’une découverte scientifique. Or c’est une distinction capitale pour la carrière de tout chercheur, dont la mention du nom en tête d’un article vaut toutes les lettres de recommandation. Les femmes qui contribuent à la recherche scientifique sont sous-représentées par rapport à leurs collègues masculins dans les publications spécialisées, démontre une étude publiée récemment dans «Nature». Et cette discrimination pèse lourdement sur l’avenir professionnel des femmes. Sur le papier, les femmes publient et brevètent moins de recherches que les hommes. Un constat suggérant une moindre productivité féminine, pour des raisons aussi variées que la maternité ou l’occupation d’un poste subalterne en laboratoire… Mais cette hypothèse est battue en brèche par de récentes recherches. L’histoire regorge d’exemples de femmes de sciences dont le rôle capital a été minimisé, voire ignoré. Comme la découverte de la structure hélicoïdale de l’ADN par la physico-chimiste britannique Rosalind Franklin, qui contribuera au Nobel de deux autres chercheurs. Ou celle de la médecin française Marthe Gautier, codécouvreuse de la trisomie 21, mais reléguée au deuxième rang dans la publication des résultats de recherche. Pour la première fois, une équipe, menée par la professeure Julia Lane, économiste à l’Université de New York, a réussi à quantifier ce phénomène. «Nous avons pu établir combien de femmes ne sont pas mentionnées dans les publications scientifiques», dit-elle à l’AFP.

 

40’000 articles scientifiques

Pour cela, les chercheurs ont dépiauté la contribution à presque 40’000 articles scientifiques et plus de 7000 dépôts de brevet, de presque 10’000 équipes de recherche comptant un total de plus de 120’000 membres, dépendant de 20 universités étasuniennes et quelques dizaines de campus, le tout sur quatre ans. Alors que les femmes comptaient pour quasi la moitié de l’effectif considéré (48%), elles étaient à peine le tiers (34%) à voir leur contribution reconnue dans les articles et brevets. La conclusion est qu’une femme a 13% de chance de moins qu’un homme d’être nommée dans un article scientifique auquel elle a contribué. «C’est un phénomène très répandu, avec un écart large et persistant de traitement entre les genres, observable dans toutes les disciplines et à tous les niveaux de responsabilité», commente le coauteur de l’étude, Raviv Murciano-Goroff, professeur d’économie à l’Université de Boston. De surcroît, cet écart de traitement est «plus fort quand il s’agit d’être désigné comme co-inventeur d’un brevet sorti du laboratoire, et également plus fort pour les études à fort impact», c’est-à dire les plus importantes, ajoute Raviv Murciano-Goroff.

 

Pire moment de ma carrière

Les conséquences vont bien au delà d’une blessure d’ego pour celles qui se voient privées de reconnaissance, soulignent les auteurs de l’étude. «Dans ces disciplines, si les gens n’ont pas de reconnaissance ou ne voient pas une issue positive pour leur carrière, ils sont enclins à laisser tomber, selon Julia Lane. Les jeunes diplômées voient bien qu’elles ont moins de reconnaissance que les jeunes diplômés, et que c’est aussi le cas pour les chercheuses senior». Une partie de l’étude, dite qualitative, a recueilli des témoignages amers de femmes ainsi discriminées: «Cela a été l’un des pires moments de ma carrière professionnelle», confie l’une d’elles. Ne pas se voir cité comme auteur «peut vraiment changer la carrière de quelqu’un», selon Raviv Murciano-Goroff, qui remarque à cet égard qu’un des principaux griefs des scientifiques interviewées est l’absence de critères clairs et objectifs régissant la signature d’un article scientifique. Les auteurs de l’étude jugent ainsi indispensable, au sein des universités et des agences de financement de la recherche, d’établir des recommandations permettant de reconnaître à leur juste valeur la contribution des chercheurs d’un laboratoire. «Les chercheurs ne sont pas formés au management, ils sont formés à faire de la science», remarque Julia Lane. Il est donc «crucial», selon elle, «de former les scientifiques à gérer un groupe, particulièrement s’il est varié». Tout cela pour éviter de décourager de futures Rosalind Franklin ou Marthe Gautier. 

 

 

AFP