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Les certificats médicaux d’arrêt de travail doivent avoir une portée générale et ne doivent pas viser une entreprise en particulier
Le certificat médical ne peut pas être à géométrie variable
06.07.2023 | 10:22
Un médecin ne peut pas attester une incapacité de travail prétendument liée à un employeur en particulier.
GETTY IMAGES
Sur un certificat médical, on peut lire: «Le médecin soussigné atteste que Monsieur X a quitté hier son travail pour des raisons de santé et qu’il ne peut plus travailler à la carrosserie Z». Ou encore: «Pour des raisons de santé, Monsieur X ne peut plus reprendre son poste chez son employeur actuel, mais sera apte à travailler à 100% dès le mois prochain, s’il trouve un autre emploi.» Dans un autre certificat médical d’arrêt de travail (CMAT) dont nous avons pu nous procurer une copie, un médecin demande à l’assurance chômage de ne pas sanctionner sa patiente puisque celle-ci «est en arrêt maladie et pour de bonnes raisons». Pénalités de durée variable Il faut savoir que l’assurance chômage prévoit, pour les personnes qui se retrouvent sans emploi par leur faute, des pénalités de durée variable au niveau du droit aux indemnités. Et donner sa démission avant d’avoir trouvé un autre poste est en principe passible d’une telle pénalité. En résumé, vous avez le droit de claquer la porte parce que votre chef ou vos collègues vous rendent la vie impossible, mais la sagesse commande de ne pas le faire sans avoir signé un nouveau contrat de travail. Selon la terminologie juridique, une pénalisation est possible lorsque le travailleur a démissionné d’un emploi jugé convenable. Des relations conflictuelles ne suffisent pas pour considérer ce même emploi comme non convenable, indique-t-on à la caisse publique de chômage du canton de Fribourg. Par conséquent, le CMAT qui laisse entendre que l’incapacité de travail est due à cette situation précise est sujet à caution. On parle de «certificat médical à géométrie variable»: la personne ne peut plus travailler pour son employeur actuel, tout en étant parfaitement apte au service par ailleurs. Elle est malade dès qu’elle arrive au bureau, et cesse de l’être quand elle en sort. Or, au dire de certaines caisses de chômage, ce genre de certificat serait monnaie courante. Interrogés, plusieurs juristes estiment que ces documents ne sont juridiquement «pas corrects». Explication: le médecin est qualifié pour certifier qu’une atteinte à la santé entraîne une incapacité de travail, mais une incapacité imputée à une entreprise en particulier résulte forcément de circonstances dont il ne connaît les détails qu’à travers le récit du travailleur luimême. En conclusion, une telle attestation n’a guère plus de valeur qu’un témoignage personnel, etle praticien qui la rédige outrepasse son rôle. Le médecin n’est pas un juge Le Tribunal fédéral (TF) s’est penché pour la première fois sur la question en 2011. Les juges ont donné tort à une patiente qui avait rompu son contrat de travail avec effet immédiat en invoquant une mise en danger de son intégrité psychique. Un certificat médical attestait ce risque, en précisant qu’elle demeurait apte à travailler dans une autre entreprise. Pour le TF, seul un juge peut, en se fondant sur la loi, établir l’existence d’un juste motif de résiliation immédiate du contrat de travail. En 2016, le Tribunal fédéral a statué sur un autre cas intéressant. Un employé avait présenté un CMAT attestant une incapacité de travail complète durant la totalité de son délai de congé. Cependant, le médecin-conseil de l’assurance perte de gain (APG) avait estimé que l’assuré était apte à travailler pour le compte d’un autre employeur pendant cette même période. Dès lors, l’employeur avait considéré qu’une partie du solde des vacances avait déjà été prise sur le délai de congé. Du côté des médecins, on admet un certain embarras. Dans la «Revue médicale suisse», on découvre une histoire authentique, celle d’une femme qui consulte un psychiatre après des éclats de voix avec son chef. Elle se déclare incapable de retourner travailler «en raison d’une rage trop importante» et demande un CMAT. Le psychiatre se montre dubitatif, car l’intéressée «ne présente pas de symptômes psychiatriques majeurs». Et comme il le refuse, elle s’adresse à un généraliste qui se montrera mieux disposé. Désir d’exercer un contre-pouvoir La «Revue médicale suisse» souligne le rôle délicat des praticiens qui réceptionnent les doléances des travailleurs sans pouvoir réparer les injustices décrites. L’ambiguïté de cette situation peut faire naître en eux «un désir de se positionner en contre-pouvoir dans un système de plus en plus dur, centré sur les notions de rentabilité et peu enclin à considérer les fragilités individuelles». «Nous n’aimons pas effectuer ce mandat social vis à-vis des assureurs», déclare le Dr Ueli Bollag, auteur de l’une des rares études suisses sur la délivrance de certificats médicaux. Le malaise est confirmé par Laurence de Chambrier, médecin et auteure d’un livre intitulé «Le patient malgré lui». La généraliste dénonce la montée en puissance de la «prescriptophrénie»: les médecins sont toujours plus sollicités pour attester les capacités et les incapacités des individus. Le sommet est atteint lorsqu’ils doivent certifier une évidence qui n’aurait pas de valeur si elle sortait de la bouche du patient. Comme si la parole des principaux intéressés ne comptait pas, ou plus.
Francesca Sacco